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  • adeuxpourdieu

Semaine 13 : Chrétiennes de Troyes


Itinéraire : Zagreb-Virovitica (130km) / Dates : 16-23 avril 2020


Jusqu'alors, tout sourit à nos apprenties slavettes : les gardes-frontières croates les ont laissées passer la frontière Schengen sans trop comprendre leur démarche, les religieux ont honoré la règle d'hospitalité au delà de l'imaginable (salut à st Jean Bosco, et à ses fiers disciples du petit séminaire salésien de Zagreb), et pour couronner le tout la Providence met sur leur chemin un paroissien de l'Oise, en stage à la capitale. 3 mois après le départ, tout est réuni pour donner l'élan à la seconde moitié du pélerinage. Le moment parfait pour un dernier contrôle technique sur le terrain, mené par les frérots et l'amoureux. Justement, n'est-pas eux à l'aéroport, chargés de matériel de marche, de médocs et quelques friandises réconfortantes...?


 

Jackson, j'ai l'impression que nous tournons en rond...


Ne soyez pas surpris des boucles sur le trajet présenté ci-dessus, Faustine n'y est pour rien ! Ces apparents détours sont même la marque d'une logistiquement rondement menée, vous le verrez bien assez tôt...


Avant ces sinueuses arabesques, les deux amies doivent d'abord s'arracher à Zagreb, où Emmanuel, un ami de la famille rencontré au coeur de l'Oise, travaille ce printemps. L'ambiance n'est guère austère sous ces tropiques où les bars et restaurants restent ouverts, et où l'on s'y rend le visage découvert...Mais ce confort relatif n'ôte rien à l'esprit chevaleresque du compagnon qui couche deux nuits consécutives sur le sol pour offrir aux filles un doux week-end de repos matelassé. Discussions jusqu'à pas d'heure, présentation du pays par le camarade Emmanuel au service de la diplomatie locale, premier film francophone depuis longtemps : une halte requinquante à l'aube de cette nouvelle semaine !


Les jours suivants, le programme est en effet tout tracé : il faut rejoindre Bjelovar, chef lieu planté au coeur de la Slavonie, où le rendez-vous est fixé à l'équipage en partance de Paris. 80 kilomètres à abattre en 3 jours !


Contrairement à Frodon et Sam, l'équipage ne souffre d'aucune carence alimentaire durant ces longues journées de marche : les tables croates mettent en effet leur honneur à dissimuler la nappe sous les mets salés. Début de semaine particulièrement exotique : une femme leur offre un tupperware de viande de cygne, et le lendemain des religieuses leur proposent un "sanitizer" au réveil, juste avant le départ. Et pardieu, ici on se sanitize au schaps à 40° !


Quant à l'accueil, il diffère bien de l'italien ou même du français. Dixit "cheveux-de-feu", toute décontenancée de ce trait de caractère croate : "Ici, si ça saoûle quelqu'un de nous accueillir, on ne maquille les formes : grimaces, placidité totale, suspicion non déguisée, interrogatoire poussé...En revanche, s'il décide de nous ouvrir malgré tout sa porte, l'accueil est royal : serviettes de bain, lit individuel...En France et en Italie, on peut nous rester extrêmement chaleureux et vous éconduire avec le sourire, sans se préoccuper le moins du monde d'où vous dormirez le soir !". Et de narrer cette fois où un prêtre croate doutant de leur sincérité conserva leurs passeports durant la nuit et les soumit à la question pour vérifier la cohérence de leur prétendu trajet depuis la France. Bien qu'extrêmement distant et froid, il n'économisa rien pour le confort des jeunes amies...


Toutefois, la surprise totale de cette semaine se déroula aux abords d'un monastère franciscain où Bérénice et Faustine allaient frapper. La cuisinière les aperçoit par la fenêtre et leur avoue s'être mise aussitôt à la cuisine en pensant "these girls, they are 100% sure hungry !". Un prêtre, deux soeurs, accompagnées de deux garçons du village, apprêtent alors une maison abandonnée pour le duo : quand les filles passent le palier, les soeurs sont encore en train de frotter les mûrs...Bref, le lendemain on se quitte la larme à l'oeil, pour rester pudique.


 

Selon que vous serez tout grand ou tout petit...


Preuve en sont ces gigantesques oeufs, dans le pur style naïf, qui parsèment le moindre bourg ! Deux semaines après Pâques, on en trouve partout de richement décorés, symbolisant la résurrection (et bien plus encore...). Est-il utile de le rappeler ? En dépit d'une rude période soviétique et d'un conflit dévastateur pour le pays (la guerre de 1991-1995 est loin d'avoir quitté les esprits), la Croatie demeure catholique à 85%. Du coup, profitez-en pour faire durer la joie pascale (jusqu'à Pentecôte) en synchronie avec les filles, offrez-vous l'écoute de cette merveille slave (également) dédiée à la Résurrection du Christ !


Ces croates voient-ils donc tout en grand ? Pour ce qui est de la Slavonie du moins, c'est plutôt le petit qui prime. Petites bourgades, petites fermes, petits tracteurs, petites exploitations. Le travail de la terre fait encore vivre près de 15% de la population mais dans un organisation très atomisée : 85% des cultures appartiennent à des petites familles, et les trois quarts de ces mêmes terres sont disséminées en près de 15 parcelles ! L'absence quasi-totale de coopératives (défiance dûe aux kolkhozes soviets ?) aténue également toute passage à l'échelle : les exploitations sont en moyenne de 5-6 hectares, soit 3 fois moins que la moyenne européenne. Quant aux villages, vous le voyez sur la photo satellite ci-dessus : ils s'étirent tout le long des routes traversantes, laissant ainsi l'arrière des habitations en contact direct avec les champs. Dans ce pays de 4 millions d'habitants à 80% rural, le tableau campagnard est pittoresque : une habitation assez sobrement aménagée, une grange en bois gardé d'un chien, un poulailler, une grand-mère esclavone bêchant avec son fichu, un tracteur dans le jardin. En somme, les filles n'auront pas vu une seule des plages réputées, filant d'ouest en est, mais ces terres nordiques n'ont plus de secrets pour elles !


S'il est en revanche un constant souci national, pour lequel les mairies semblent prêtes à tous les sacrifices, c'est bien la sauvegarde des nids de cigognes - au point que leur portrait figure en pleine publicité sur la présentation google maps des villes concernées (comme Brodski Varos, visiblement célèbre pour son couple d'oiseaux fidèles, je vous laisse aller regarder...). En ce qui concerne notre sémillant binôme, resteront surtout en mémoire les joyeux claquements de becs qui ponctuent les retrouvailles au nid.

 

Retrouvailles à mi-parcours


Partie de Paris, armée de son test antigénique règlementaire (pour l'aller; au retour un test PCR est exigé), des ravitaillements nécessaires en matériel (la liste précise était commandée par les pèlerines) et de quelques médicaments bienvenus, la fine équipe des admirateurs rejoint les filles à Bjelovar, à 1h de l'aéroport de Zagreb où une voiture a été louée pour trois jours (30€).


L'occasion est unique et un gite a été réservé à l'arrivée pour simplifier les retrouvailles. Fait rare, la cuisine du lieu permet ainsi de cuisiner un moelleux au chocolat (dessert favori de Bérénice) pour fêter l'arrivée du trio. Dehors, la police croate n'a pas tardé pour taxer les aventuriers d'un PV de stationnement, mais ces bonnes nouvelles n'apparaitront qu'à l'aube suivante...Entretemps, difficile de résister aux facilités locales et ces terrasses hospitalières pour discuter des premières semaines croates, du moral des troupes, des nouvelles françaises...La première nuit est réparatrice pour tous : les filles récupèrent du sprint des derniers jours et les garçons de leur trajet chaotique (ces derniers détails n'ajoutant rien à la gloire familiale, ils restent uniquement disponibles sur demande privée).


Quant aux boucles (si si, souvenez vous des détours incompréhensibles sur la carte du début !), elles ne sont rien d'autres que les trajets nécessaires pour garer la voiture 40 kilomètres plus loin et rejoindre en stop le reste de la cohorte. Chose faite durant la première matinée. Viennent ensuite les miracles successifs : l'autostoppeur, Marko, parle uniquement allemand et croate (dix années d'études germaniques trouvent enfin leur accomplissement !), de son propre chef il stoppe la voiture dans un bled, plonge dans une ruelle, et revient chargé de boissons et charcuteries ! Pendant ce temps, le reste de l'équipe sympathise avec un berger à Kokinac (le point de rendez-vous) et commence à déjeuner en sa compagnie. A midi l'équipe est donc rassemblée et la discussion bat son plein. Incroyables d'aisance en langue croate (apparemment proche du slovène), les filles babillent allègrement avec notre curieux interlocuteur, qui ponctue ses phrases de sifflements en direction des brebis voisines. En nous quittant, un geste de la casquette accompagne sa salution "My respect, and good luck".


L'après-midi passe, en rase campagne au milieu de champs, entre blé et colza, dans un décor assez familier aux habitués du Vexin normand. Vers 17h vient le moment de chercher un toît. Après un premier refus du presbytère, les filles se rabattent sur la mairie : second refus. En groupe compact, la joyeuse troupe part donc à l'assaut des ruelles et tombe alors sur un couple en train de bêcher paisiblement au potager. La discussion s'engage grâce au renfort des souvenirs d'italien. Le couple fait alors comprendre qu'il jouxte la maison du commissaire et ne peut accueillir en ces conditions, alors que le Covid impose des mesures strictes. Toutefois, le mari se propose de chercher une solution avec ledit sheriff. Après de longues minutes de suspense, la salle des fêtes est ouverte et le maire en personne vient nous présenter les lieux ! Luxe ultime : les douches froides fonctionnent, et le climat tempéré du dehors permet de sécher rapidement. Le village de mille habitants est désert. Le soir, alors que la troupe savoure une heure de lecture sur la place centrale, seul un camion diffusant des messages électoraux vient troubler ce calme suspendu.


Le lendemain, la route doit s'achever à la voiture, garée derrière la minuscule chapelle d'un patelin distant de 23 kilomètres. Sur le chemin, les villages étirés donnent une vue équitable sur les étranges passants à chaque habitant : deux cent âmes au jardin, autant de regards sur notre passage. Dans l'un de ses cantons, on s'aperçoit subitement que l'on nous court après. Une fois à portée, cette silhouette s'avère être celle du maire de la veille ! Sublime coincidence, il habite une ferme dépassée il y a peu, et nous convie sans façons à sa table. Nous n'avons que peu discuté hier soir et visiblement la Providence se charge de combler ce manque. Ainsi débute une matinée en compagnie de Darko (retrouvé plus tard sur la gazette en ligne de Bjelovar, cf photo ci-dessus) et Maria, respectivement fermier et clown d'hôpital dont la fille aînée anglophone jouera l'interprète via skype. Les tours de magie des garçons sont visiblement très appréciés et le saucisson au cheval ne cesse de se multiplier à table. Parmi les nombreux sujets abordés, le départ des jeunes croates pour les grandes villes et l'étranger qui peine profondément nos hôtes. Quant au pélerinage, le couple saisit sans peine la démarche, ayant plusieurs fois cheminé vers Medugorje. A l'heure du départ et des remerciements, on note le nom de cette escale inattendue -Slovinska Kovacica- qui mérite sa place sur le vaste itinéraire Troyes-Jérusalem.


Le soir, à Virovitica, la troupe alpague un paroissien au sortir de l'église du village : "Connaîtriez-vous un endroit où l'on puisse dormir à l'abri dans les environs ?". Une fois n'est pas coutume, les saints patrons du voyage veillent : cet homme n'est autre qu'un frère franciscain de l'abbaye atenante. Et voilà les cinq amis accueillis par le père abbé, tout heureux de mettre à disposition une salle de réunion inoccupée. Père Bernard (dont la maman admirait st Bernard de Clairvaux) parle parfaitement anglais, italien, et un séjour de 3 ans à Jérusalem (à la garde du saint Sépulcre notamment) l'a rendu au fait des soucis des pèlerins. Cela n'échappe pas à Bérénice : seuls les marcheurs avertis connaissent ce petit plaisir de se voir offrir une serviette de bain, et ne pas avoir à sécher la leur le lendemain durant la marche. Des petites attentions, mais qui touchent au coeur ! Après la messe, père Bernard poursuit la discussion avec une partie de la troupe au verger du monastère avant de nous inviter à dine. Aujourd'hui la communauté accueillait une centaine de personnes et la nourriture ne manque pas pour ce soir. Les adieux à ce linguiste passionné arrivent ainsi trop tôt : le lendemain matin, les garçons repartent pour Zagreb à l'aube (5h)et seules les pèlerines profiteront de la messe matinale.


Au départ, le père leur glisse une lettre de recommandation tamponée à son nom dans le sac. La seconde partie de l'épopée croate commence sous les meilleurs auspices pour nos deux chrétiennes de Troyes...














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